Mon 4 Oct 2010
Archives de France, une image de plus en plus ‘floutée’ ?
Posté par Geneviève Le Blanc dans le monde de l'info-doc , sphère des archives[13] commentaires
Je vous serine régulièrement sur la nécessité absolue dans nos métiers de nous bagarrer pour faire reconnaître nos compétences et leur utilité.
Dans notre monde de l’info-doc, je ne saurais dire quels sont les plus mal ‘imagés’ entre archivistes et documentalistes. Toutefois, en ce moment je trouve que la balance pèse lourdement du côté des archivistes.
En effet, vous avez entendu parler, forcément, de la ‘déclassification’ (je ne vois pas de terme plus adéquat) des Archives de France qui étaient une Direction du Ministère de la Culture de 1897 à 2009. Depuis le 13 janvier 2010 (décret n°2009-1393 du 11 novembre 2009), elles ne sont plus qu’un service interministériel des archives de France intégré dans une Direction générale des patrimoines.
Elles ont donc perdues un cran de lisibilité au sein du Ministère de la Culture. Or, qui dit perte de niveau, dit forcément perte de poids pour se faire entendre.
Par ailleurs, il est à noter que le nouveau Directeur général des patrimoines est… l’avant-dernier Directeur des Archives de France.
Et que ce Service interministériel des archives de France a à sa tête Hervé Lemoine que nous retrouverons un peu plus bas dans ce billet.
Vous noterez que je reste dans le vague concernant l’intitulé de son poste car
1. le Conseil des Ministres a nommé M. Lemoine “Directeur chargé des archives à la DGP”
2. l’annuaire des services publics le présentent comme “directeur adjoint chargé des archives” mais pas l’annuaire du Ministère, qui le dit ‘Directeur’.
3. euh, comment appelle t’on le chef d’un service chez vous ?
Vous avez aussi entendu parler sans doute d’un musée d’histoire de France à créer dans les locaux des Archives de France.
Pourquoi là ? Les archives postérieures à 1790 vont être transférées d’ici peu à Pierrefitte-sur-Seine (93) et l’espace ainsi libéré devait être aussitôt réutilisé pourr les archives notariales en attente… mais c’était avant la décision de la création dudit musée, qui risque même de prendre plus de place que cela car il lui faut outre la place pour les expositions permanente / temporaires de l’espace pour ses autres missions : “fédérer l’action des musées d’Histoire de l’Hexagone et (…) mettre en valeur leurs collections ainsi que les travaux des chercheurs“. Et donc de restreindre ou de ‘pousser’ ailleurs les Archives nationales
Et tant qu’on y est, certains parlent de prévoir également la réunion d'”une partie des archives des ministères de la Défense et des Affaires Etrangères, qui, jusqu’à présent, gardaient la haute main dessus dans leurs propres bâtiments“. Il est tout de même bon de rappeler que le Quai d’Orsay vient de se faire construire un centre d’archives à la Courneuve, et la Défense s’est vu livré, début 2010, “des magasins d’une capacité de 80 km linéaires situés dans l’enceinte du fort neuf, face au château de Vincennes“.
Pour en revenir au Musée d’histoire de France, il faut savoir que la proposition a été faite par un certain… Hervé Lemoine en 2007, qui s’est inscrite alors dans les priorités de l’action gouvernementale pour la Culture. Hervé Lemoine que l’on retrouve aujourd’hui à la tête des Archives comme par hasard (et non pas du Musée)
Abandon préconisé par… Philippe Belaval.
Cerise sur le gâteau de la destruction des AdF ? En tout cas certains n’hésitent pas à dire qu’on assassine les Archives.
Nos journalistes ont la fâcheuse manie d’oublier de rappeler les origines de certains faits.
Si l’on remonte à 1999, il y a eu un rapport important dont il est bon de se souvenir aujourd’hui. Intitulé “Pour une stratégie d’avenir des archives nationales“, il s’agissait d’un document de travail par Philippe Belaval, remis à Catherine Trautmann, ministre de la Culture et de la communication de l’époque, alors directeur des Archives de France (1998-2000)
Document de travail qui devait être “la base (d’une) nécessaire redéfinition de l’institution des archives nationales” (p. 1 dudit document).
Les trois axes développés dans le rapport :
a) “retrouver leur (Archives nationales) place d’institution centrale de la mémoire nationale” (?? “service interministériel” !!)
b) “réussir leur entrée dans la société de l’information” (je pense que l’on peut dire que le pari est gagné)
c) “s’ouvrir plus résolument à leurs différents publics” (je ne suis pas à même de juger)
Il y est dit notamment
“la réaffirmation du rôle central des Archives nationales exige la sortie de l’impasse immobilière actuelle” (p. 9). No comment !
Quand on sait que toutes ces évolutions, décisions, sont mises sur le compte de la RGPP dont le but est la réforme de l’État, la baisse des dépenses publiques et l’amélioration des politiques publiques, on serait en droit de se demander pour qui est faite cette amélioration. Apparemment plus pour satisfaire les égos de certains, que pour progresser dans la qualité.
Pour terminer je voudrais rappeler pour les non initiés qui se perdent dans le méli-mélo Archives de France/Archives nationales/Conseils régionaux et Archives départementales ce qui est nécessaire de savoir
– Archives nationales : celles qui portent sur les organes centraux de l’Etat (sauf les ministères des Affaires étrangères et de la Défense)
– Archives départementales : elles relèvent depuis 1983 (lois de décentralisation) des conseils généraux mais sont placées sous le contrôle scientifique et technique des archives de France
– Archives de France : Archives nationales + Inspection générale des archives de France + délégation aux célébrations nationales + département du réseau institutionnel et professionnel + département de la politique archivistique et de la coordination interministérielle + département de l’innovation technologique et de la normalisation +le département des publics et le bureau des affaires générales et de la documentation.
Naturellement le nom de ces départements a changé en même temps que l’intitulé ‘Direction des Archives de France’,
Cela m’a permis de remarquer que sur la page d’accueil seul figure l’intitulé “Archives de France”, amputé donc du mot ‘Direction’ qui n’est pas remplacé par ‘Service’ et dont on a supprimé la présentation (avant il était mis “la DAF conçoit, oriente et contrôle… etc..).
L’intitulé complet “Service des Archives de France” ne se trouve que dans l’espace de l’annuaire.
Enfin je vous invite à aller sur le site qui appelle à signer une pétition où un historique du problème est très clair
Je pensais en avoir terminé sur cette descente aux enfers. Mais non ! Un dernier point à signaler :
Monsieur Bruno Ory-Lavollée vient d’accorder un interview à la Revue française de généalogie (dont je suis une fidèle lectrice, mais cela a aussi été signalé sur le forum de l’AAF). Ce monsieur, qui a donné son nom à la Commission qui a rédigé le rapport “Partager notre patrimoine culturel” explique que « faire des sites web avec de grosses bases de données, ce n’est pas le même métier que de gérer des archives » et de pousser le bouchon encore plus soin : « Les institutions sont en général plus douées pour la conservation et l’analyse scientifique que pour la diffusion, la présentation simple et pédagogique, l’ergonomie, la communication… », fonctions qui seraient vraisemblablement mieux assurées par le secteur marchand.
Un jugeur sûr de lui, qui juge des professionnels sans relever du métier, cela devient de plus en plus fréquent et de plus en plus insupportable.
Car un conseiller référendaire à la Cour des Comptes, ancien directeur de la Société pour l’administration des droits des artistes et musiciens interprètes (Adami) s’est certainement beaucoup penché sur les compétences des archivistes. Et a beaucoup participé à des réunions de projet multi-professions pour savoir que le type d’action qu’il décrit ne se fait jamais seul dans son coin mais ne peut être que le résultat de compétences multi-professionnelles associées que l’on soit dans le public ou dans le privé.
Pourquoi ce monsieur dit-il cela ? Parce qu’un appel à projets a été lancé par la secrétaire d’Etat à l’économie numérique, Nathalie Kosciusko-Morizet dans le cadre du grand emprunt sur la numérisation du patrimoine (750 millions d’€).
Or une seule société a à ce jour répondu présente (ce qui est déjà un problème). Elle a déjà sommé les Archives départementales de lui transmettre leurs documents pour les numériser, les transcrire et les indexer dans des bases de données. Et là se pose bien des questions : quid d’une privatisation de documents publics et de leur marchandisation ? quid d’une concurrence AD/entreprise ? quid de la qualité du travail d’indexation ? quid d’une diffusion des renseignements personnels ? quid d’une réutilisation dans des buts pas forcément innocents ?
Et là aussi cerise sur le gâteau, le frère de la ministre est un des actionnaires minoritaires et membre du conseil d’administration de cette société. Ce qui pose un autre problème.
… Moral en berne, je vais me coucher !
_________
sources (entre autres)
http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article4046
http://www.tnova.fr/index.php/component/content/article/1426.html (commentaire à propos du musée)
http://papiers.poussieres.free.fr/index.php/2010/07/07/genealogie-com-le-reve-de-toussaint-roze/
– l’histoire des Archives de France
http://fr.wikipedia.org/wiki/Archives_nationales_%28France%29
http://fr.wikipedia.org/wiki/Service_interminist%C3%A9riel_des_archives_de_France
http://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_B%C3%A9laval
http://www.servicehistorique.sga.defense.gouv.fr/Le-SHD-a-Vincennes.html
– http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?dateTexte=&categorieLien=id&cidTexte=JORFTEXT000021683848&fastPos=3&fastReqId=1168567677&oldAction=rechExpMesuresNominatives
– à propos de la décision du Président de la République
http://www.rfi.fr/france/20100915-sarkozy-envoie-histoire-france-palais-archives-nationales
un article de l’Express et les commentaires de ses lecteurs : http://www.lexpress.fr/culture/art/sarkozy-relegue-la-maison-de-l-histoire-de-france-aux-archives_918520.html
October 4th, 2010 at 14:14
Bonjour,
je travaille dans les archives mais (ou “et”) je souhaite rester anonyme. Permettez-moi toutefois de vous remercier chaleureusement pour votre article. Nous l’avons, dans la profession, vécu comme une véritable gifle.
Vous auriez également pu citer cette phrase, que je soumets à votre sagacité : « pour un département, plutôt que de construire une grande base de données tout seul, et créer un site catastrophique, il existe une alternative, faire numériser par un opérateur privé »… Quel scandale ! De quel droit M. Ory-Lavollée peut-il dire une chose pareille, alors que nos sites sont plébiscités par les internautes ? Sans nous, NF et consorts n’auraient même pas su que ces documents existaient !
Un archiviste estomaqué.
October 4th, 2010 at 14:37
Sincère merci de cet ajout.
Voyez sur le forum de l’AAF, un billet qui vient d’être mis en ligne http://fr.groups.yahoo.com/group/archives-fr/message/9289
Comme vous, je suis scandalisée par cette désinvolture, ce ‘je m’en foutisme’ de la compétence des autres, ce crachat au visage dont on se demande si dans leur suffisance ils en sont seulement conscients.
October 4th, 2010 at 14:43
D’une certaine manière, Bruno Ory-Lavollée n’a pas tort en affirmant que nous les archivistes, ne savons que gérer les documents mais non les grosses bases de données…encore que bon nombre des sites des AD sur l’état civil (gratuit eux !) valent en qualité ceux du secteur privé (payants eux !).
Mais ce que je trouve scandaleux est que le Grand emprunt lancé dans les mois à venir servira à engrosser la société “Kosciusko-Morizet”. Lamentable !
October 4th, 2010 at 14:55
C’est pour cela qu’il était important d’aller sur le site de l’Union Européenne pour donner son avis par le biais d’une consultation publique en ligne sur les données numériques
Voir dans le cache la présentation de la consultation
http://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:WI03iDGb9rcJ:europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do%3Freference%3DIP/10/1055%26format%3DHTML%26aged%3D0%26language%3DFR%26guiLanguage%3Den+http://ec.europa.eu/yourvoice/ipm/forms/dispatch%3Fform%3Dcomitedessages%26lang%3Dfr&cd=2&hl=fr&ct=clnk&client=iceweasel-a
Malheureusement fermée depuis le 30 sept., voir la page de la Commission http://ec.europa.eu/yourvoice/ipm/forms/dispatch?form=comitedessages&lang=en
October 4th, 2010 at 15:01
Sur la question des tarifs : la RFG sait-elle que la BNF facture 120 € annuels la mise en ligne d’une seule image ? c’est en ligne et c’est ici : http://www.bnf.fr/fr/collections_et_services/reproductions_document/a.repro_reutilisation_documents.html#SHDC__Attribute_BlocArticle2BnF
Je n’ai pas lu de commentaires de sa part sur ce point.
Imaginez ce que ça aurait pu donner si les archives avaient appliqué ce tarif aux pratiques amateur… ce que cette superbe loi nous permet tout à fait. Mais nous parlons, pour les Archives, d’un prix allant de 2 à 4 centimes la vue (donc en général 4 actes) en cas de réutilisation commerciale… au-delà du million de vues. Car c’est de millions de vues dont nous parlons.
On peut aussi ajouter l’article sur les cartes de combattants, dans la même revue.
Le sujet tient fort à coeur, ô coïncidence, de NF, qui a adressé certains communiqués sur ce thème.
Que faut-il en déduire ? je fais appel à votre intelligence.
Un archiviste en colère.
October 5th, 2010 at 11:19
[…] qu’ils seraient incapables de valoriser. Les archivistes apprécieront (voir d’ailleurs ici, ici et ici)… L'archiviste selon Ory-Lavollée : un gardien incapable de communiquer (On […]
October 6th, 2010 at 15:31
A propos des chiffres cités par Anon, voir pour comparaison les chiffres demandés par certains AD à NotreFamille
http://geneinfos.typepad.fr/geneinfos/2010/06/le-juste-prix-des-archives-en-debat.html
(le billet date de juin mais peu importe)
October 6th, 2010 at 16:36
Voir aussi le billet de P. Moirez sur Archives Masala
http://archivesmasala.wordpress.com/2010/10/05/nen-deplaise-a-monsieur-ory-lavollee/
October 6th, 2010 at 17:31
Le problème, c’est que NF veut tout obtenir gratuitement…
Alors évidemment, 2, 3 ou 4 centimes c’est trop cher. Mais en quoi cela nous regarde-t-il ? Si c’est trop cher, ils modifient leur stratégie économique, ou ils ne mettent pas les images en ligne, ça nous conviendra très bien ! Après tout, ces images sont majoritairement – et gratuitement – disponibles sur les sites publics : pourquoi les dupliquer ?
A noter que les Anglais, par exemple, autorisent la réutilisation gratuite de leurs données, mais excluent les données nominatives (les seules qui intéressent NF). Vérité en-deça, erreur au-delà ?
Pour en revenir aux propos de M. OL : quelqu’un expliquait sur un forum que “lorsqu’on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage”…
N’est-ce pas ce qui est à l’oeuvre ici ?
Qu’y a-t-il derrière ?
L’idée d’une privatisation des archives, comme cela est à l’oeuvre dans certains musées ? C’est cela qui nous pend au nez ?
October 8th, 2010 at 17:49
Voir la réponse de l’AAF à propos de la maison de l’histoire de France, qui me semble très diplomatique à http://www.archivistes.org/La-maison-de-l-histoire-de-France
October 13th, 2010 at 12:26
Voir maintenant le droit de réponse fait par l’AAF à la Revue française de Généalogie
http://www.archivistes.org/Revue-francaise-de-genealogie
Pourquoi seulement sur la RFG, et pas sur le site des Archives de France ??
Y a t’il eu un envoi direct à M. Ory-Lavollée ?
October 13th, 2010 at 13:52
Aujourd’hui aussi, le ministre de la Culture affirme son soutien aux Archives nationales… mais ne dit pas ce que vont devenir les documents qui devaient être mis à la place libérée !
http://ie.actualitte.com/actualite/22050-archives-france-mitterrand-programme-politique.htm
October 26th, 2010 at 09:42
Lire absolument ce billet paru sur le site du Comité de vigilance face aux usages de l’Histoire http://cvuh.free.fr/spip.php?article255