Je vous serine régulièrement sur la nécessité absolue dans nos métiers de nous bagarrer pour faire reconnaître nos compétences et leur utilité.
Dans notre monde de l’info-doc, je ne saurais dire quels sont les plus mal ‘imagés’ entre archivistes et documentalistes. Toutefois, en ce moment je trouve que la balance pèse lourdement du côté des archivistes.
En effet, vous avez entendu parler, forcément, de la ‘déclassification’ (je ne vois pas de terme plus adéquat) des Archives de France qui étaient une Direction du Ministère de la Culture de 1897 à 2009. Depuis le 13 janvier 2010 (décret n°2009-1393 du 11 novembre 2009), elles ne sont plus qu’un service interministériel des archives de France intégré dans une Direction générale des patrimoines.
Elles ont donc perdues un cran de lisibilité au sein du Ministère de la Culture. Or, qui dit perte de niveau, dit forcément perte de poids pour se faire entendre.
Par ailleurs, il est à noter que le nouveau Directeur général des patrimoines est… l’avant-dernier Directeur des Archives de France.
Et que ce Service interministériel des archives de France a à sa tête Hervé Lemoine que nous retrouverons un peu plus bas dans ce billet.
Vous noterez que je reste dans le vague concernant l’intitulé de son poste car
1. le Conseil des Ministres a nommé M. Lemoine “Directeur chargé des archives à la DGP”
2. l’annuaire des services publics le présentent comme “directeur adjoint chargé des archives” mais pas l’annuaire du Ministère, qui le dit ‘Directeur’.
3. euh, comment appelle t’on le chef d’un service chez vous ?
Vous avez aussi entendu parler sans doute d’un musée d’histoire de France à créer dans les locaux des Archives de France.
Pourquoi là ? Les archives postérieures à 1790 vont être transférées d’ici peu à Pierrefitte-sur-Seine (93) et l’espace ainsi libéré devait être aussitôt réutilisé pourr les archives notariales en attente… mais c’était avant la décision de la création dudit musée, qui risque même de prendre plus de place que cela car il lui faut outre la place pour les expositions permanente / temporaires de l’espace pour ses autres missions : “fédérer l’action des musées d’Histoire de l’Hexagone et (…) mettre en valeur leurs collections ainsi que les travaux des chercheurs“. Et donc de restreindre ou de ‘pousser’ ailleurs les Archives nationales
Et tant qu’on y est, certains parlent de prévoir également la réunion d'”une partie des archives des ministères de la Défense et des Affaires Etrangères, qui, jusqu’à présent, gardaient la haute main dessus dans leurs propres bâtiments“. Il est tout de même bon de rappeler que le Quai d’Orsay vient de se faire construire un centre d’archives à la Courneuve, et la Défense s’est vu livré, début 2010, “des magasins d’une capacité de 80 km linéaires situés dans l’enceinte du fort neuf, face au château de Vincennes“.
Pour en revenir au Musée d’histoire de France, il faut savoir que la proposition a été faite par un certain… Hervé Lemoine en 2007, qui s’est inscrite alors dans les priorités de l’action gouvernementale pour la Culture. Hervé Lemoine que l’on retrouve aujourd’hui à la tête des Archives comme par hasard (et non pas du Musée)
Abandon préconisé par… Philippe Belaval.
Cerise sur le gâteau de la destruction des AdF ? En tout cas certains n’hésitent pas à dire qu’on assassine les Archives.
Nos journalistes ont la fâcheuse manie d’oublier de rappeler les origines de certains faits.
Si l’on remonte à 1999, il y a eu un rapport important dont il est bon de se souvenir aujourd’hui. Intitulé “Pour une stratégie d’avenir des archives nationales“, il s’agissait d’un document de travail par Philippe Belaval, remis à Catherine Trautmann, ministre de la Culture et de la communication de l’époque, alors directeur des Archives de France (1998-2000)
Document de travail qui devait être “la base (d’une) nécessaire redéfinition de l’institution des archives nationales” (p. 1 dudit document).
Les trois axes développés dans le rapport :
a) “retrouver leur (Archives nationales) place d’institution centrale de la mémoire nationale” (?? “service interministériel” !!)
b) “réussir leur entrée dans la société de l’information” (je pense que l’on peut dire que le pari est gagné)
c) “s’ouvrir plus résolument à leurs différents publics” (je ne suis pas à même de juger)
Il y est dit notamment
“la réaffirmation du rôle central des Archives nationales exige la sortie de l’impasse immobilière actuelle” (p. 9). No comment !
Quand on sait que toutes ces évolutions, décisions, sont mises sur le compte de la RGPP dont le but est la réforme de l’État, la baisse des dépenses publiques et l’amélioration des politiques publiques, on serait en droit de se demander pour qui est faite cette amélioration. Apparemment plus pour satisfaire les égos de certains, que pour progresser dans la qualité.
Pour terminer je voudrais rappeler pour les non initiés qui se perdent dans le méli-mélo Archives de France/Archives nationales/Conseils régionaux et Archives départementales ce qui est nécessaire de savoir
– Archives nationales : celles qui portent sur les organes centraux de l’Etat (sauf les ministères des Affaires étrangères et de la Défense)
– Archives départementales : elles relèvent depuis 1983 (lois de décentralisation) des conseils généraux mais sont placées sous le contrôle scientifique et technique des archives de France
– Archives de France : Archives nationales + Inspection générale des archives de France + délégation aux célébrations nationales + département du réseau institutionnel et professionnel + département de la politique archivistique et de la coordination interministérielle + département de l’innovation technologique et de la normalisation +le département des publics et le bureau des affaires générales et de la documentation.
Naturellement le nom de ces départements a changé en même temps que l’intitulé ‘Direction des Archives de France’,
Cela m’a permis de remarquer que sur la page d’accueil seul figure l’intitulé “Archives de France”, amputé donc du mot ‘Direction’ qui n’est pas remplacé par ‘Service’ et dont on a supprimé la présentation (avant il était mis “la DAF conçoit, oriente et contrôle… etc..).
L’intitulé complet “Service des Archives de France” ne se trouve que dans l’espace de l’annuaire.
Enfin je vous invite à aller sur le site qui appelle à signer une pétition où un historique du problème est très clair
Je pensais en avoir terminé sur cette descente aux enfers. Mais non ! Un dernier point à signaler :
Monsieur Bruno Ory-Lavollée vient d’accorder un interview à la Revue française de généalogie (dont je suis une fidèle lectrice, mais cela a aussi été signalé sur le forum de l’AAF). Ce monsieur, qui a donné son nom à la Commission qui a rédigé le rapport “Partager notre patrimoine culturel” explique que « faire des sites web avec de grosses bases de données, ce n’est pas le même métier que de gérer des archives » et de pousser le bouchon encore plus soin : « Les institutions sont en général plus douées pour la conservation et l’analyse scientifique que pour la diffusion, la présentation simple et pédagogique, l’ergonomie, la communication… », fonctions qui seraient vraisemblablement mieux assurées par le secteur marchand.
Un jugeur sûr de lui, qui juge des professionnels sans relever du métier, cela devient de plus en plus fréquent et de plus en plus insupportable.
Car un conseiller référendaire à la Cour des Comptes, ancien directeur de la Société pour l’administration des droits des artistes et musiciens interprètes (Adami) s’est certainement beaucoup penché sur les compétences des archivistes. Et a beaucoup participé à des réunions de projet multi-professions pour savoir que le type d’action qu’il décrit ne se fait jamais seul dans son coin mais ne peut être que le résultat de compétences multi-professionnelles associées que l’on soit dans le public ou dans le privé.
Pourquoi ce monsieur dit-il cela ? Parce qu’un appel à projets a été lancé par la secrétaire d’Etat à l’économie numérique, Nathalie Kosciusko-Morizet dans le cadre du grand emprunt sur la numérisation du patrimoine (750 millions d’€).
Or une seule société a à ce jour répondu présente (ce qui est déjà un problème). Elle a déjà sommé les Archives départementales de lui transmettre leurs documents pour les numériser, les transcrire et les indexer dans des bases de données. Et là se pose bien des questions : quid d’une privatisation de documents publics et de leur marchandisation ? quid d’une concurrence AD/entreprise ? quid de la qualité du travail d’indexation ? quid d’une diffusion des renseignements personnels ? quid d’une réutilisation dans des buts pas forcément innocents ?
Et là aussi cerise sur le gâteau, le frère de la ministre est un des actionnaires minoritaires et membre du conseil d’administration de cette société. Ce qui pose un autre problème.
… Moral en berne, je vais me coucher !
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sources (entre autres)
http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article4046
http://www.tnova.fr/index.php/component/content/article/1426.html (commentaire à propos du musée)
http://papiers.poussieres.free.fr/index.php/2010/07/07/genealogie-com-le-reve-de-toussaint-roze/
– l’histoire des Archives de France
http://fr.wikipedia.org/wiki/Archives_nationales_%28France%29
http://fr.wikipedia.org/wiki/Service_interminist%C3%A9riel_des_archives_de_France
http://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_B%C3%A9laval
http://www.servicehistorique.sga.defense.gouv.fr/Le-SHD-a-Vincennes.html
– http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?dateTexte=&categorieLien=id&cidTexte=JORFTEXT000021683848&fastPos=3&fastReqId=1168567677&oldAction=rechExpMesuresNominatives
– à propos de la décision du Président de la République
http://www.rfi.fr/france/20100915-sarkozy-envoie-histoire-france-palais-archives-nationales
un article de l’Express et les commentaires de ses lecteurs : http://www.lexpress.fr/culture/art/sarkozy-relegue-la-maison-de-l-histoire-de-france-aux-archives_918520.html